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Chroniques et articles Causeur

Tes « amis » te méprisent

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Grâce à eux, je réussis à garder ma position de dominant ami descendant d’immigrés.

La « révolution » de Mai 68 a été́ portée par un courant philosophique français, héritier de Nietzsche, de Marx et de Freud. Les stars de ce courant, Althusser, Foucault, Deleuze, prêchant des cheminements variés, avaient un objectif commun : la déconstruction des normes et des pouvoirs, accusés d’exclure, d’opprimer et de nier les différences individuelles.

Ces penseurs considéraient que toute organisation sociale est imprégnée de répression. Des penseurs aussi puissants ont fait des disciples, et ce sont les relents sociologiques et journalistiques de leur pensée qui se sont diffusés dans la bourgeoisie intellectuelle. Puis sont devenus la nouvelle norme. Je me souviens très bien de François Bégaudeau interrogé à propos de mon film « La journée de la jupe » sur Canal+ en 2009, répondant avec un petit sourire méprisant et entendu « C’est un film de droite, c’est tout. » Comme s’il coulait de source après avoir dit cela que tout était dit. Cet entre-soi qui fait qu’il est inutile de préciser ses propos puisqu’on sait tous de quoi on parle et ce qu’on sous-entend illustre parfaitement, 40 ans plus tard, le fascisme de cette pensée qui se voulait libertaire.

Quand bien même mon film aurait été un film de droite (ce qu’à mon avis il n’était pas), méritait-il d’être disqualifié sans la moindre analyse ? En quoi le film qu’il avait écrit sur le même sujet, qui était un film de gauche, était-il plus digne de réflexion ?

 

Et pourtant Mai 68 a conduit un changement salutaire.

C’est bien parce que la pensée brillante de ces philosophes apportait une sorte de réponse à un problème réel qu’elle a trouvé autant d’écho.

Avant eux, la norme déterminait chaque comportement, faute de quoi, on était « attifé comme l’as de pique », on avait « des mœurs légères » dès lors qu’on refusait le poids de toutes les conventions, bref « on menait une vie de bâton de chaise » – référence aux deux grands bâtons latéraux servant à porter la chaise et son contenu humain. Constamment manipulés, soulevés, posés, tirés pour dégager la porte de la chaise, ils avaient en effet une existence très peu reposante, une vie désordonnée.

Toutes ces contraintes ont sauté grâce à Mai 68.

Mais avec elles a sauté aussi le sens commun.

Car s’est imposé un nouveau dogme, un néo-catéchisme avec son lot de grenouilles de bénitiers, aussi risibles que celles du catholicisme, aussi hypocrites dans leur empressement à paraître, à montrer qu’elles sont de gentilles grenouilles qui suivent bien la ligne tracée par le dogme, quitte à oublier tout bon sens.

Ainsi, cette obsession compassionnelle pour l’ancien colonisé, héritée de la culpabilité réelle de certains de nos ancêtres érigée en faute de tous, un peu comme les enfants naturels devaient porter la « faute » de leurs géniteurs.

Nous sommes donc tous d’affreux bâtards du colonialisme.

 

Car le grand paradoxe de cette pensée antiraciste, qu’on ne peut a priori que louer, est qu’elle est animée par un racisme féroce. L’homme blanc, européen, occidental, chrétien (et juif aussi) est resté fondamentalement un colonisateur en raison de traits qui lui seraient propres (par essence donc, génétiquement) : raciste, impérialiste, dominateur, etc. Par conséquent, les anciens colonisés sont restés des dominés, des victimes de cet homme blanc, européen, occidental, judéo-chrétien. Puisque la culpabilité est héréditaire, pourquoi les « innocences » ne le seraient-elle pas? Eternels coupables, éternelles victimes.

 

Et c’est là que tu te fais bien niquer ami descendant d’immigrés.

 

A partir de mai 68 la pensée postcoloniale va avaler la pensée de l’émancipation ouvrière. Il faut dire que suite à d’innombrables progrès technique, il y avait de moins en moins d’ouvriers et de plus en plus d’immigrés venus de nos anciennes colonies. Autant dire que la clientèle de la gauche historique changeait de visage et en bons capitalistes, les socialistes se sont adaptés à la demande de leurs clients.

Le damné classique, celui qui trimait dur et se faisait exploiter par des ventripotents en haut de forme, gros cigare à la bouche, se faisant aussi rare que les haut de forme et les cigares d’ailleurs, place à celui qui avait une couleur de peau, une origine différente. Place à celui qui allait apporter sa voix.

 

De plus, à une époque encore sous le charme des récits héroïques de la Résistance, être du côté des victimes et des dominés permettait de s’offrir à peu de frais une impeccable conscience morale et de se figurer en héros d’une lutte qu’on n’avait pas eu à mener.

Il est d’ailleurs notable que tous les grands-prêtres de ce nouveau catéchisme anticolonial, enfants de la classe moyenne voire aisée, ne savaient pas de quoi ils parlaient.

  • Michel Foucault, fils de notables de Poitiers, père chirurgien éminent.
  • Louis Althusser, fils de bonne famille catholique installée en Algérie et envoyé faire ses études secondaires à Marseille et à Lyon.
  • Gilles Deleuze, famille bourgeoise. Son père Louis est ingénieur et proche des Croix-de-feu. Ça fait beaucoup de choses à expier d’après Freud…

Leur ligne de conduite vise donc surtout à prouver qu’ils ne font en aucun cas partie de cette France rance, qui a abandonné ses Juifs et pactisé avec le diable puis s’est réveillée résistante après la bataille. Et ils ne veulent surtout pas que leur soit appliquée l’idée de la culpabilité héréditaire qu’ils contribuent à imposer.

A eux on ne la fait pas. On ne la leur fait plus. Plus jamais ça.

 

Rajoutons à cela une couche de « Tendons l’autre » joue héritée de notre culture chrétienne et nous y sommes.

Sauf que Jésus demandait  que soit pardonnée une faute dont il avait été victime.

Alors que nos inénarrables consciences morales passent leur temps à pardonner ce qu’elles ne subissent pas et ne connaissent pas non plus sauf à travers ce que leur rapporte le dogme.

Pour l’ancien colon que je suis par essence, cette logique de déresponsabilisation de l’ancien colonisé est une ruse suprême qui me permet de préserver la relation de domination.

Moi, colon éternel, je suis un humain à part entière, puisque je suis responsable de mes actes.

Toi colonisé éternel, tu ne l’es pas. Ou beaucoup moins.

Nous n’appartenons pas à la même catégorie.

Tu n’as pas encore atteint le même degré de profondeur que moi, qui suis conscient de tous mes actes.

Toi il y a des choses que tu ne contrôles pas. Tu commets des actes, non pas parce que ta pensée te les dicte mais en réaction quasi-mécanique à la mienne.

Je suis la cause, je suis l’essence de tes actes. Tu ne choisis pas.

 

Et tant que tu ne refuseras pas ce dédouanement systématique qui t’infériorise, je resterai le MAÎTRE.

 

 

publié dans le Magazine Causeur n° 38 – Septembre 2016

 

 

 

 

 

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